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Argile Rouge
24 avril 2006

Mémoire... je voudrais t'effacer

Moments douloureux. Ils se gravent en moi, comme une émotion, un cri silencieux de l'être, figé quelque part en moi, comme une mue qui ne tomberait pas, comme une fine peau couleur de paille et cassante entre deux pelures vert tendre d'un oignon.
Mémoire floue aussi. Je ne sais plus comment ces moments naissent et meurent. Je ne sais plus d'eux que l'angoissant silence, le mal-être de l'autre, ou sa colère, mon mal-être, mon vide, et l'immuable silence, l'immuable distance d'elle à moi à ces instants, ces minutes, ces heures.

Samedi.
Jolie promenade dans la campagne. Partout le soleil, partout les oiseaux, partout les fleurs. Nous marchons pied-nus dans les herbes d'un chemin creu. On se laisse engourdir de soleil. Mais avec la chaleur et la marche, c'est le serpent de cette mémoire que j'évoque qui se glisse en moi et déverse son poison. La chaleur un peu étouffante, et la marche, cela ravive sourdement cette peau de paille oubliée, peau cassante et sèche dont les éclats me blessent comme s'ils étaient de verre. La chaleur, l'été, les vacances, l'étouffement. Ce sont les pierres dressées de ma préhistoire. Je n'échappe pas à leur cercle. Je m'en sens prisonnier. Je suis enkilosé de lassitude.
Comment échapper à cette mémoire? Comment dissocier été, vacances, chaleur, marche, d'heures cruelles dont cela fut le théâtre? Je me sens las. Terriblement las. J'ai peur aussi. Peur de l'été à venir. Peur de ma réaction. Peur de ne jamais parvenir à m'échapper de cela.
Je lui dit ce poids plus tard dans la soirée. C'est un nouveau coup de poignard pour elle. Petit à petit je lui reprends tout. J'ai repris l'exclusivité de mon amour pour aimer d'autres qu'elle seule. Je lui ai repris la place centrale qu'elle occupait dans ma vie. Je lui ai repris le quotidien. Qu'est-ce donc que je lui laisse? Elle me répond déjà qu'elle ne comptait plus sur moi pour partir en vacances ensemble cet été. Mais quelque chose encore s'est brisé en elle. Elle n'a plus aucun ressort soudainement. Nous ne sommes plus qu'habillés de silence. Finalement, elle veut être seule ce soir.

dimanche
Matin. Porte close. Je pars marcher un peu. Il fait chaud et il y a un vent frais. Je repasse vers midi. La porte est toujours close.  Elle dort, ce que j'apprendrai le soir. Je rentre chez moi. Je mange. Je lis un peu. Je pars au ciné pour m'effacer du présent. Migraine. Je reste allongé quelques heures, puis je l'appelle. Je passe chez elle. Colère. Elle me dira plus tard dans la soirée: "je crois que les crises ainsi sont toujours le révélateur du sentiment de ne pas être aimé". Oui, tu as raison. Je comprends cela. Je ne sais que dire. Je ne suis plus qu'un grand silence à mon tour. Que répondre à cette colère? Tu t'en voudras terriblement ensuite. Tu te repprocheras d'avoir attendu quelque chose de moi encore alors que tu sais ne devoir rien attendre. Que c'est notre règle. On passe d'un lieu à un autre, toujours dans la demi lumière ou dans l'obscurité, toujours dans les larmes libres ou battant les paupières, entre mains qui s'acceptent ou se repoussent, entre acceuil et rejet. J'ai le sentiment que l'on s'endort chacun seul. Il est trois heures du matin lorsque tu allumes la lumière. Tu me dis "A cette heure là tu es sur la route d'habitude, non? Et bien, tu n'as qu'à y aller". Et quand je te dis "A plus tard alors?" tu réponds "Non. Il n'y a aucun avenir devant moi avec toi dans ma vie". Tes derniers mots auraient pu être ceux que tu as prononcé alors "Fais attention à toi." Mais tu as ouvert la fenêtre et nous sommes restés longtemps ainsi. Toi deux étages plus haut, dans une demi lumière, visage incertain. Moi dans la cour pleine de nuit. Que vit-on au moment de se séparer? Rien. Tragiquement vide. Voilà ce que je suis. Si tu ne m'avais pas rappelé, qu'aurait-il resté de ces minutes? Ta voix qui a prononcé timidement mon prénom dans la nuit. Les étoiles et la nuit  les yeux grand-fermés sur nous. La lueur du réverbère sur le mur d'à côté. Les gravillons qui bruissent sous mes jambes engourdies. Parce que même à ces instants le corps persiste, indifférent, à ressentir. J'entendais mal ce que tu prononçais. Puis j'ai compris "reviens". Toute la soirée alors que tu oscillais entre accepter que je te soutienne et m'éloigner de toi j'ai eu le sentiment de te voir lutter pour me sortir de toi. Et quand tu as dit "reviens" je me suis dit qu'un autre jour on en serait là de nouveau mais que tu ne m'appelerais pas.


J'ai l'impression que tu t'épuises à rester près de moi. Quand je te dis de partir, tu me dis que je te ferais plus de mal en n'étant plus là qu'en étant là encore. Tu sais qu'un autre saurait mieux t'aimer mais que pour l'instant il n'y a personne qui soit là pour t'aimer. Tu dis que dans ce monde peu de gens sont vraiment aimé. Que les gens parviennent à vivre ainsi mais que toi tu le refuses. Parfois je voudrais que tout s'arrête. Je voudrais la souffrance sûre de la perte certaine. Et puis quand je t'imagine loin de moi, je suis pris d'une immense détresse. La même que tu éprouves. Un jour que j'éprouvais cette perte par la pensée je me suis senti complètement déchiré, dans une folle détresse.
J'ai peur de cet attachement. Il me semble impossible que l'on traverse les années ainsi. Il me semble impossible de te laisser. Il me semble impossible de vivre moins tourmenté.

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Commentaires
A
Ségolène<br /> Merci pour ces mots doux à lire...<br /> <br /> yo<br /> Merci à toi aussi, yo. Je ne sais pas vraiment si cet amour s'éloigne. Je ne sais pas.
Y
Des mots touchants d'homme pour dire les maux de l'amour qui s'éloigne... je t'envie juste quelques pensées sincères pour mettre une peu de lumière sur ces moments douloureux...
S
Cet abandon entre nos mains me touche.J'aimerais t'y recueillir pour te dire des mots de réconfort. Te dire aussi qu'elle a cette chanche de ton amour respectueux pour elle, même s'il a séché au soleil.
A
Tristana<br /> Sourire... tes mots me touchent. Ton chemin m'apporte déjà beaucoup.<br /> <br /> kitty<br /> Je ne crois pas que mes maux viennent d'une trop haute idée de l'amour. Ils me semblent provenir du rapprochement impossible entre mon incapacité à vivre une vie de couple "normale" et l'amour ou le grand attachement que je porte à ma compagne. <br /> Quant au lien avec une souffrance personnelle... oui, il me semble le deviner.
K
Rien n'est plus dangereux, nocif, toxique que de se faire une trop haute idée de l'amour. À trop vouloir tendre vers quelque chose d'idéal qui ne s'atteint jamais, on passe à côté de tout le reste, simplement parce qu'on ne prend pas le temps de regarder… Et, ne jamais oublier : la souffrance amoureuse est toujours étroitement liée à une souffrance personnelle, intime… Cela, je crois, tu le sais déjà, n'est-ce pas?
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