Enthousiasme
Je suis un enthousiaste. Terriblement enthousiaste. J'ai même envie de dire: monstrueusement enthousiaste.
Mon
enthousiasme est déraisonnable, disproportionné, et en cela monstrueux.
Pourtant il me dépasse. Il me déborde. Il est ma première émotion
lorsque je rencontre le beau. Je ne parle pas d'esthétique, mais de la beauté de l'Etre. Par mon enthousiasme je
salue je crois l'existence de choses, d'êtres, que je rencontre. Je fête le plaisir de savoir qu'elles sont au monde.
Quoi de mal à cela?
Le
mal vient de ce que cet enthousiasme est aussi spontané que fragile.
Qu'involontairement faux. Alors je suis facilement déçu. La réalité
n'est pas à la hauteur de ce que mon esprit avait immaginé. Car mon
enthousiasme ne fête pas la réalité mais l'image que j'aie en moi de la
réalité. Et quelque part au cours de cet imprégnation de mon être par
ce qui l'enthousiasme, des formes et des couleurs sont faussées,
embellies, rêvées. Mon esprit s'enflamme de mirages. Et lorsqu'il s'en
rend compte, la déception est à la hauteur du malaise que j'éprouve...
Parce
qu'alors il est terriblement blessant ce vide qui reste et que je
renvoie à l'autre. L'autre qui ne peut comprendre. L'autre qui n'y est
pour rien. Que je blesse. J'ai vécu plusieurs fois cet hiver qui
s'installe soudain en moi. La réalité de l'autre qui soudain me laisse
de glace. Je trouve cela humiliant. Blessant. Presque méchant.
Alors
je n'ai plus confiance en moi. Je me méfie de moi. J'essaie de taire
cet enthousiasme. De lui tordre le coup tant que je n'ai pas éprouvé la
réalité de ce que je perçois. Je suis obligé d'en perdre ma
spontaneité. Pour ne pas blesser l'autre ni me blesser par un soudain
retrait.
Je veux aimer le réel, et non pas les fruits de mon immagination. Je voudrais parvenir à aimer les choses à la juste hauteur de mon ressenti. Mais d'un ressenti éprouvé. Mon enthousiasme m'apparait comme un papillon qui cherche désespérément à se poser sur une fleur. Il ne se pose pas tant pour la fleur que parce qu'il voudrait en trouver une.
J'ai peur de ne pas savoir aimer. Seulement d'aimer aimer.